RÉSUMÉ
Les métiers du design n'échappent pas aux transformations contemporaines du monde du travail. Employés comme créatifs au sein d'entreprises ou autres organisations sociales, les designers ne contrôlent bien souvent qu'un segment limité du processus de conception. En outre, leur intervention est centrée sur le projet, dont la réalisation sera généralement confiée à d'autres. À l'instar d'autres métiers connaissant cette même évolution, l'abstraction et/ou le morcellement entraînent un risque de perte du sens attaché au travail.
La quête de sens pourrait même être exacerbée chez les designers, qui expriment dans leur profession une part sensible, faite de valeurs, d'imaginaires, d'émotions... La perception de cohérence, de signifiance, de direction et d'appartenance – autant de dimensions attachées au sens pour la psychologie existentielle (Frankl, 1998 ; Schnell, 2009) – sont donc particulièrement importantes.
En tant que chercheurs et responsables de programmes pédagogiques dans une école de design (délivrant un Bac+5 à 125 designers par an), nous constatons que le titre diplômant et les savoir-faire ne suffisent pas à contenir un projet professionnel, et que la dynamique personnelle de construction de sens pour les étudiants doit être accompagnée. Ses enjeux pédagogiques relèvent de l'autoformation (Galvani, 1997) : comment outiller les jeunes designers pour leur permettre de construire leur propre positionnement au sein du monde du travail ?
Cet article présente notre vision partagée et les bases conceptuelles qui la nourrissent, ainsi que notre programme d'accompagnement durant les cinq ans de formation des étudiants. Celui-ci associe différentes actions menées par différents acteurs pédagogiques (direction des études, équipe de recherche, association des alumni), faisant une large part aux cercles de partage et groupes de travail. En effet, ces formats apparaissent fertiles pour stimuler les aller-retours entre émulation et réflexion personnelle.
Deux approches stratégiques sont combinées. D'une part, la projection permet de fixer un cap, des valeurs, et de s'ancrer dans une trajectoire visée. Mais d'autre part, c'est par la saisie concrète d'opportunités contingentes que l'on agit, selon une démarche chemin faisant. En combinant les deux, le futur professionnel doit pouvoir construire son éthique de travail, se rendant capable d'évaluer ce qu'il convient de faire, en conscience, avec regard critique et engagement. Nos initiatives visent donc à développer une réflexivité sur l'expérience (Schön, 1983), avant, pendant et après le passage de la vie étudiante à active.
Ce programme de travail pluri-acteurs est en évolution permanente. Chacun des responsables pédagogiques adapte ses actions à partir des retours des étudiants et alumni, qui sont également mis en commun pour aligner la démarche globale. Mais la perception de nos initiatives et leurs impacts concrets à moyen terme sur le terrain restent peu connus. Nous cherchons aujourd'hui à les mesurer en déployant une enquête qualitative auprès des diplômés de l'école (questionnaire envoyé à 250 étudiants des promotions 2019 et 2020). Plus largement, nous souhaitons également élargir notre veille et renforcer les échanges avec nos pairs enseignants, chercheurs et professionnels de différents secteurs concernés par des enjeux similaires.
L'objectif est de formaliser un véritable parcours réflexif qui intègre les initiatives déjà développées, les besoins exprimés, et d'autres expériences multidisciplinaires ; de le diffuser et discuter largement, afin d'outiller la quête de sens qui anime les nouvelles générations d'apprenants.
MOTS-CLÉS
Enseignement du design, Autoformation, Sens au travail, Pratique réflexive
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ABSTRACT
Design professions undergo the transformation of the changing world of work. In companies or other social organizations, creatives generally handle a limited part of the design process. Moreover, their contribution focuses on projects, which implementation will usually be delegated. Like many other professions following the same evolutions, abstraction and fragmentation entail a risk of losing meaning at work.
The search for meaning could even be compounded for designers, who express in their practice a sensitive part, made of values, imagination, emotions... The sense of coherence, significance, direction and belonging – all components of meaning for existential psychology (Frankl, 1998 ; Schnell, 2009) – are thus paramount.
As researchers and educational managers in a design school (125 Masters degree graduates per year), we witnessed that qualification and skills are not sufficient to build a professional project. Students need support in their personal process of constructing meaning. This raises educational challenges in terms of self-education (Galvani, 1997): how to provide tools for young designers to develop their own positioning in the professional world?
This article presents our conceptual frame and shared vision, as well as our accompanying program spanning over the five-year course of study. Various initiatives led by different educational actors combine (Department of studies, Research team, Alumni association), with an emphasis on sharing circles and group work, as these formats stimulate both emulation and personal reflection.
Two strategic approaches are associated. On the one hand, projection allows mapping out a direction and setting a course. But on the other hand, action is accomplished through seizing contingent opportunities, or along the way strategizing. The young practitioner learns to articulate both in his/her own professional ethics, with a critical involvement. Our initiatives thus aim at developing reflection on experience (Schön, 1983), before, during, and after the transition from education to working life.
This multi-stakeholders program is in constant progress. We all adapt our actions according to students' and alumni's feedback, which are also shared in order to allow overall alignment. But we have little knowledge on how our initiatives are perceived, and on their impacts on the field. We are currently seeking to evaluate them through the means of a qualitative study among 250 alumni from our school, who graduated in 2019 and 2020. More broadly, we wish to reinforce exchanges with our peers in education, research and professional practice from different fields concerned with similar challenges.
Our purpose is to formalize a reflexive program, integrating the existing initiatives, the needs expressed, and multidisciplinary experiences. Through large diffusion and discussion, we aim at supporting the search for meaning shared by the new generations of learners.
KEYWORDS
Design education, Self-education, Meaning at work, Reflective practice
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REFERENCES
Frankl, V. (1988). Découvrir un sens à sa vie. Paris, Éditions de l'Homme.
Galvani, P. (1997). Quête de sens et formation : anthropologie du blason et de l'autoformation. Paris, L'Harmattan.
Schnell, T. (2009). The Sources of Meaning and Meaning in Life Questionnaire (SoMe): Relations to demographics and well-being. The Journal of Positive Psychology, 4(6), 483-499.
Schön, D. A. (1983). The reflective practitioner: How professionals think in action. London, Temple Smith.