créativité et liberté de l'enseignant.e : ce que la demande de formats ludiques révèle du « droit d'être soi » des « captifs », dans la lutte contre le décrochage et les difficultés d'apprentissage.
Richard Le Fur  1@  
1 : Société Coopérative d'Activités de Productions PRISMATIK
sans tutelle

RÉSUMÉ

Dans cet article, nous participons à interroger la liberté créative de l'enseignant.e : ses entraves, ses marges d'action. Mais aussi, les regards considérant ces libertés, à travers des demandes qui soulignent certaines représentations de l'enseignant.e, et de sa pratique professionnelle : des demandes de supports et de formats éducatifs ludiques, destinés à l'usage en cours par les enseignant.e.s.

Prestataires de services, spécialisés dans les pédagogies par le jeu et dans l'accompagnement à la créativité, nous sommes régulièrement sollicités par de telles demandes. Pour cet article, nous rendons compte de notre expérience professionnelle en nous appuyant sur quatre de ces demandes, parmi celles qui nous paraissent empiriquement les plus représentatives.

Nous en analysons d'abord deux, destinées à un usage en classes de collèges, mais émises par des acteurs privés non scolaires. Puis deux autres demandes, émises par des écoles elles-mêmes. À travers les objectifs et les contraintes formulées, se révèlent des considérations de l'enseignant (de son rôle, de sa pratique, de ses contraintes de terrain). S'y révèlent aussi des considérations de la capacité créative (celle de l'enseignant.e, celle de l'élève), et de comment (nous pourrons nous en étonner) le support ou le format ludique commandé prétendrait suppléer à une part d'un rôle théorique idéal de l'enseignant.e – ou de l'élève.

Nous analysons ensuite notre pratique, par nos réponses à ces demandes : comment nous aménageons ces créativités, en nous appuyant sur les recherches en Sciences du Jeu (taxonomie de Bartle), en Sciences de l'éducation (ce qu'on apprend réellement en jouant, et la nature autotélique du jeu, d'après Brougère), et en Psychologie de la motivation et de l'engagement (sentiment d'auto-efficacité de Bandura, expérience optimale de Csíkszentmihályi), afin d'en extraire les clés qui permettent d'appréhender ce que nous appellerons ici « la ludicité » de l'activité : cette même ludicité qui est demandée comme un remède miracle, pressenti ou désespéré, face aux enjeux que représentent les difficultés d'apprentissage et le décrochage.

Après mention des retours des utilisateurs, nous proposons à la communauté de recherche :
- une définition de cette « ludicité », différenciée du « jeu » (d'après les critères que propose Gilles Brougère pour caractériser le jeu).
- pour la conduite d'expérimentations, une grille de mesures et conditions qui nous paraissent favoriser ou entraver cette « ludicité ».
- un postulat de départ, quant à la propension dans laquelle cette « ludicité » nous paraît être un facteur qui répond - ou non - aux défis de nos institutions éducatives, particulièrement selon le « droit d'être soi » des « captifs ».

Nous concluons en réinscrivant la problématique de cette communication dans les contextes, économiques et politiques, qui nous semblent avoir donné racines aux demandes présentées, afin de converger vers ce qui nous apparaît comme des causes invisibilisées : des enjeux de légitimation, des paradigmes et des racines culturelles, qui, en nuisant au « droit d'être soi », participent à stériliser les efforts déployés par les enseignant.e.s dans leur lien aux élèves, et dans l'accomplissement de leurs missions d'enseignement.

MOTS CLÉ

Créativité, pédagogies par le jeu, ludicité, collégiens, enseignant.e.s, liberté créative, captifs, éducation, motivation, engagement, droit d'être soi.

 

ABSTRACT

In this article, we take part in questioning the creative freedom of teachers : their obstacles, their margins of action. But also, the glances on these freedoms, through requests which underline certain representations of teachers, and their professional practice: requests for playful educational materials and formats, intended to be used by teachers during their classes.

Service providers, specialized in pedagogies through play and in supporting creativity, we regularly receive such demands. For this article, we share some of our professional experience by studying four of these requests, among those which empirically seem the most representatives.

We firstly analyze two of these, intended for use in college classes, but ordered by private non-scholastic actors. Then, two other requests, ordered by the schools themselves. Through the mentioned objectives and constraints, regards upon the teachers are revealed (about his role, his practice, his field constraints). It also reveals regards upon creative capacity (the teachers', the students'), and how (we may be surprised) the ordered playful material or format is pretended to compensate part of an ideal theoretical role – that of the teacher, or of the student.

We then analyze our practice, through our responses to these requests: how we set these creativities, based on research in Game Studies (Bartle's taxonomy), in Education Sciences (what we really learn by playing , and the autotelic nature of the game, according to Brougère), and in Psychology of Motivation and Commitment (feeling of self-efficacy by Bandura, optimal experience by Csíkszentmihályi), in order to extract the keys that helps us to grasp what we will call here "the playfulness" of the activity: this same playfulness which is demanded like some miracle remedy, perceived so or desperately hoped, to help solving learning difficulties and dropping out.

After mentioning users' feedbacks, we propose to the research community:
- a definition of this "playfulness", differentiated from the "play" (according to the criteria proposed by Gilles Brougère to characterize the “play” – in french : “le jeu”).
- for the conduct of experiments, a grid of measures and conditions which we think participate to favoring or hindering this "playfulness".
- a starting postulate, about the propensity in which this "playfulness" seems to be a factor which responds - or not - to the challenges of our educational institutions, especially dealing with the “captives'” "right to be oneself".

We conclude by reinscribing this communication's problematic in economic and political contexts, which we think have contributed to cause the presented requests, in order to converge on what appears to us as invisibled causes : legitimation stakes, paradigms and cultural roots, which, by undermining the “right to be oneself”, participate in sterilizing the efforts made by teachers to bond with their pupils, and in the accomplishment of their teaching missions.

 

KEYWORDS

Creativity, pedagogies through play, playfullness, secondary school pupils, teachers, creative freedom, captives, education, motivation, commitment, right to be oneself.

 

REFERENCES

Bandura, A. (1997). Self-efficacy, the exercise of control. New-York : Freeman & Company. Trad. De Jacques Lecomte (2007). Auto-efficacité : Le sentiment d'efficacité personnelleSelf-efficacy »], Paris, De Boeck, 2007, 2e éd. (1re éd. 2003).

Bartle R. (1996). "Hearts, Clubs, Diamonds, Spades: Players Who suit MUDs"

Brougère G. (2005). Jouer/Apprendre. Paris: Economica

Csíkszentmihályi M. (1990). Flow: The Psychology of Optimal Experience. New York: Harper and Row. Trad. de Bouffard L. (2004) Vivre : La psychologie du bonheur. Paris: Éditions Robert Laffont.


Online user: 61 RSS Feed | Privacy
Loading...