L'impact des idéologies linguistiques et éducatives des organisations internationales en linguistique appliquée : une analyse sociolinguistique critique des discours scientifiques sur une méthode de langues « européenne »
Caroline Staquet  1@  
1 : Université de Gand

RESUME

Jusqu'à présent, très peu d'études (Heller & McElhinny 2017; Maurer 2011) ont analysé le rôle des recherches en linguistique appliquée dans la légitimation de visions institutionnelles et sociétales sur les langues et l'éducation. Je me propose d'aborder cette question par une analyse sociolinguistique critique des idéologies linguistiques et éducatives véhiculées dans les discours scientifiques sur l'enseignement en immersion en Europe.

Dans le sillage de la mondialisation, les institutions européennes ont financé de nombreuses études sur le plurilinguisme afin de répondre à des objectifs politiques et économiques (Maurer 2011). Dans ce cadre, l'Union européenne a notamment chargé un groupe d'experts académiques d'établir un cadre théorique pour l'enseignement en immersion en Europe. Originaire du Canada, l'immersion a été rebaptisée à cette occasion en « EMILE » (soit l'« enseignement d'une matière par l'intégration d'une langue étrangère »). L'EMILE a d'emblée suscité l'engouement de nombreux acteurs scolaires « initiés » (Draelants 2014), conscients notamment de la valeur attribuée à la maitrise des langues étrangères de prestige sur le marché de l'emploi, mais aussi du caractère sélectif des filières d'EMILE (Bruton 2013). Parallèlement, la méthode a suscité l'adhésion d'un grand nombre de chercheurs, qui l'ont construite comme une nouvelle forme d'éducation innovante et « européenne ».

Depuis quelques années, le champ scientifique de l'EMILE se caractérise cependant par des polémiques de plus en plus vives (Bruton 2013). Les critiques pointent avant tout les faiblesses méthodologiques de la plupart des travaux sur l'EMILE, en particulier la non-prise en compte du statut socio-économique des élèves d'EMILE dans de nombreuses études louant les vertus de la méthode. D'autres ont dénoncé une tendance à occulter les zones d'ombre, comme la promotion de l'anglais à travers l'EMILE ou les difficultés rencontrées par les acteurs du terrain (recrutement et formation des enseignants...).

Dans cette contribution, je me propose de questionner cet engouement académique pour l'EMILE à l'aune des idéologies linguistiques et éducatives dominantes en Europe. Pour ce faire, j'analyserai dans un premier temps les spécificités socio-historiques des recherches sur l'EMILE. Je me pencherai en particulier sur la politique linguistique de l'UE, pour laquelle les analyses sont rares, et détaillerai son articulation aux politiques éducatives et économiques européennes. Dans un second temps, je présenterai une analyse sociolinguistique et discursive d'un discours scientifique de référence sur l'EMILE afin de déterminer les visions institutionnelles et sociétales qu'il véhicule. Dans mes conclusions, je croiserai ces résultats et explorerai plus largement l'impact des idéologies linguistiques et éducatives actuelles sur le plurilinguisme en terme d'inégalités scolaires et sociales.

MOTS CLES

Plurilinguisme ; idéologies éducatives ; idéologies linguistiques ; linguistique appliquée ; enseignement en immersion ; EMILE ; CLIL ; inégalités scolaires ; organisations internationales ; Union européenne ; sociolinguistique ; discours scientifiques

 

 

ABSTRACT

So far, very few studies (Heller & McElhinny 2017; Maurer 2011) have investigated the role of applied linguistics in the legitimization of institutional and societal visions on languages and education. This paper aims to explore this issue with a critical sociolinguistic analysis of language ideologies in scientific discourses on immersion teaching in Europe.

Following globalization's emergence, the European institutions have funded much research on multilingualism to fulfill political and economic aims (Maurer 2011). Notably, the European Union appointed a group of academic experts to conceptualize immersion teaching in Europe. Originating from Canada, immersion was then renamed ‘CLIL' (‘Content & Language Integrated Learning'). CLIL has been immediately embraced by many ‘initiated' school actors (Draelants 2014) well-informed about multilingualism's value for prestigious languages and the selective nature of CLIL tracks (Bruton 2013). Concomitantly, CLIL has also been embraced by many researchers who have constructed it as an innovative ‘European' form of education.

For a few years though, CLIL research field has witnessed sharp scientific controversies (Bruton 2013). Above all, critics have pointed to methodological shortcomings in most of CLIL studies. Particularly, they have targeted the omission of CLIL pupils' socio-economic status in many studies praising CLIL benefits. Others have denounced a tendency to downplay sensitive issues, such as the promotion of English through CLIL or school actors' difficulties (e.g. teachers' recruitment and training).

In this paper, I aim to interrogate research's enthusiasm for CLIL through the prism of dominant language and educational ideologies in Europe. To do so, first, I analyse CLIL research's socio-historic specificities. I inquire notably the understudied EU language policy and analyse its links to European educational and economic policies. Second, I present a sociolinguistic and discursive analysis of a key scientific discourse on CLIL to determine the institutional and societal visions endorsed in this text. In my conclusions, I cross-check these findings and discuss the impact of current language and educational ideologies on multilingualism in terms of school and social inequalities.

KEYWORDS

Multilingualism; educational ideologies; language ideologies ; applied linguistics; immersion teaching ; CLIL ; school inequalities ; international organisations; European Union; sociolinguistics ; scientific discourses

REFERENCES

Bruton, A. (2013). CLIL: Some of the Reasons Why... and Why Not. System, 41(3), 587-597.

Draelants, H. (2014). Des héritiers aux initiés ? Note sur les nouvelles modalités de la reproduction sociale par l'école. Social Science Information, 53(3), 403-432.

Heller, M., & McElhinny, B. (2017). Language, Capitalism, Colonialism: Toward a Critical History. Toronto : University of Toronto Press.

Maurer, B. (2011). Enseignement des langues et construction européenne: le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. Paris: Archives contemporaines.

 


Online user: 47 RSS Feed | Privacy
Loading...