RÉSUMÉ

La situation de propagation du virus COVID-19 est inédite, si bien qu'un grand nombre de pays a dû prendre des mesures pour tenter de le stopper. L'UNESCO annonçait ainsi le 11 avril 2020 que 188 pays avaient pris des mesures nationales de fermeture des écoles. Or, face à de telles mesures, une question reste de taille pour l'éducation : celle de la continuité pédagogique. De quoi s'agit-il ? Comment les universités ont-elles procédé ? Ce confinement n'est-il pas, dans la majorité des cas, un passage forcé au distanciel ou une simple transposition du présentiel ? Notre question principale de recherche est comment l'université a-t-elle procédé pour la mise à distance de ses enseignements ?

La crise que nous traversons et les conséquences qui en découlent peuvent être observées avec une mise en perspective historique des évolutions significatives de l'enseignement à distance (Spalanzani et Filippi, 2004). Depuis l'arrivée d'internet à la fin des années 90, de nombreuses solutions sont mises en œuvre. Pour autant, les pratiques éducatives n'évoluent de manière ni homogène ni linéaire. L'apprentissage reste le traditionnel face-à-face. Nous faisons le constat d'une difficile transition numérique : l'appropriation des outils paraît délicate ; l'évolution vers l'enseignement en ligne présente des paliers d'intégration au gré des différentes crises traversées et les solutions pour proposer un enseignement en ligne. Cette évolution peut être envisagée sous l'angle des systèmes complexes (Watzlawitck et al, 1972 ; Le Moigne, 1991). L'université, système vivant, évolue de manière non linéaire, par des périodes d'homéostasie et des paliers de complexité croissante. L'intégration des outils numériques, la transformation des pratiques éducatives présentent une inertie qui en freine la dynamique. La crise apporte au système suffisamment d'entropie pour déstabiliser, désorganiser, vaincre cette inertie et provoquer le palier d'évolution.

Nous présentons ici les résultats d'une étude réalisée à Aix-Marseille Université, en partenariat avec le centre d'innovation pédagogique et d'évaluation (CIPE) et l'Observatoire de la Vie Étudiante (OVE). Cette étude, menée avec une approche mixte combinant enquête par questionnaire et entretiens plus ciblés auprès des enseignants, porte sur les enseignements et autres activités pédagogiques mis en place pendant le confinement (printemps 2020). L'étude est en cours, seules les données de l'enquête ont commencé à être analysées.

Un questionnaire en ligne a été diffusé par mél aux enseignants d'AMU par le biais de la gouvernance ; la consultation a été conduite entre le 30 juin et le 2 septembre 2020. Après une mise en contexte concernant les conditions matérielles et l'usage des outils numériques, il interroge notamment les pratiques d'enseignement avant le confinement puis pendant le confinement. Les questions suivantes portent sur l'accompagnement au passage au distanciel et l'évolution des pratiques pédagogiques, pour aboutir sur leurs besoins d'accompagnement à venir. Sur 7738 enseignants consultés, 959 ont répondu à l'enquête ; soit 12,3%.

Les premiers éléments nous permettent de qualifier la crise subie de catalyseur de transition de l'université vers le numérique. 74,1% des répondants n'avaient jamais dispensé de cours à distance. Pour 87,2%, la distance a induit des changements dans leurs pratiques pédagogiques (pour la majorité, les changements étaient autant d'ordre technique que pédagogique) et presque autant (84,8%) pensent cependant qu'une assistance est nécessaire concernant le développement des enseignements à distance.

La théorie de la transformation de l'apprentissage (Baran et al, 2011 ; Cranton, 2016 ; Sherman, 2020) permet d'observer les transformations déjà à l'œuvre à l'université au niveau micro (enseignants et étudiants). Dans notre étude, en plus de l'intégration des outils numériques dans les pratiques enseignantes, nous observons une dynamique, au niveau méso, de transformation des interactions entre les enseignants et les ingénieurs pédagogiques, entre le « front office » et le « back office », au sein du « système université » qui lui aussi se transforme (niveau macro). Le changement d'un élément ou d'un sous-système entraîne le changement des autres éléments, des autres sous-systèmes et finalement du système lui-même ; c'est l'effet systémique de cette co-production et des liens inhérents entre les éléments (Le Moigne,1991). Mais alors, jusqu'où cet effet nous amènera-t-il ? Les entretiens à mener auprès des répondants qui ont accepté d'être recontactés devraient nous permettre de faire émerger les éléments constituant du changement qui ont permis un pas de géant dans une transformation déjà en marche des pratiques pédagogiques.

Mots clés : COVID-19, université, e-learning, systèmes complexes, ingénierie pédagogique.

ABSTRACT

The COVID-19 virus spread situation is unprecedented, so many countries have had to take measures to try to stop it. On April 11th 2020, UNESCO announced that 188 countries had taken national measures to close schools. However, facing such measures, a major challenge remains for education: that of pedagogical continuity. What is it all about? How did the universities proceed? Is this confinement not, in the majority of cases, a forced move away from the classroom or a simple transposition of the classroom? Our main research question is how has the university proceeded to remote teaching?

The crisis we are going through and its consequences can be observed from a historical perspective of the significant developments in distance education (Spalanzani and Filippi, 2004). Since the arrival of the Internet in the late 1990s, many solutions have been implemented. However, educational practices have not evolved in a homogeneous or linear manner. Learning remains the traditional face-to-face. We note a difficult digital transition: appropriation of tools seems delicate; the evolution towards online teaching presents levels of integration according to the different crises that have been experienced and the solutions to offer online teaching. This evolution can be seen from the perspective of complex systems (Watzlawitck et al., 1972; Le Moigne, 1991). University, as a living system, evolves in a non-linear way, through periods of homeostasis and increasing levels of complexity. The integration of digital tools and the transformation of educational practices present an inertia that slows down their dynamics. The crisis brings to the system enough entropy to destabilize, disorganize, overcome this inertia and provoke the stage of evolution.

We present here the results of a case study carried out at Aix-Marseille University in partnership with the Centre for Pedagogical Innovation and Evaluation (CIPE) and the Student Life Observatory (OVE). This study, conducted with a mixed approach combining questionnaire surveys and more targeted interviews with teachers, focuses on the teaching and other pedagogical activities implemented during lockdown (Spring 2020). The study is ongoing, only the survey data has started to be analysed.

An online questionnaire was snet by e-mail to AMU teachers through the governance; the consultation was conducted between June 30th and September 2nd 2020. After a contextualization concerning the material conditions and the use of digital tools, it questions in particular the teaching practices before lockdown and then during lockdown. The following questions concern support for the transition to distance and the evolution of teaching practices, in order to determine their future support needs. Out of 7738 teachers consulted, 959 (12.3%) replied to the survey.

The first elements allow us to describe the crisis as a catalyst for the university's transition to digital technology. 74.1% of the respondents had never given distance learning courses before. For 87.2%, distance has induced changes in their teaching practices (for the majority, the changes were as much technical as pedagogical) and almost as many (84.8%) believe, however, that assistance is needed regarding the development of distance learning.

The theory of learning transformation (Baran et al, 2011; Cranton, 2016; Sherman, 2020) allows us to observe the transformations already at work in universities at a micro level (teachers and students). In our study, in addition to the integration of digital tools in teaching practices, we observe a dynamic, at a meso level, of transformation of interactions between teachers and educational engineers, between the "front office" and the "back office", within the "university system" which is also being transformed (macro level). The change of one element or sub-system leads to the change of the other elements, the other sub-systems and finally the system itself; this is the systemic effect of this co-production and of the inherent links between the elements (Le Moigne,1991). But then, how far will this effect take us? The interviews to be conducted with the respondents who agreed to be contacted again should enable us to bring out the elements constituting the change which have enabled a giant step forward in an already ongoing transformation of teaching practices.

Key words: COVID-19, university, e-learning, complex systems, pedagogical engineering.

Références

Baran E., Correia A.-P., Thompson A. (2011). Transforming online teaching practice: critical analysis of the literature on the roles and competencies of online teachers, Distance Education, Vol. 32, N°3, November 2011; 421-439.

Cranton, P. (2016). Understanding and promoting transformative learning: A guide to theory and practice. Stylus Publishing,

Le Moigne J.-L., (1991). La modélisation des systèmes complexes, Dunod Editeur.

Sherman, G. L. (2020). Transformative Learning and Well-Being for Emerging Adults in Higher Education. Journal of Transformative Education,

Spalanzani A., Filippi L. (2004). «E-learning et innovation organisationnelle : éléments de réflexion autour d'une expérience développée dans le milieu universitaire, Systèmes d'Information et Management, Paris, Vol. 9, N° 4, pp 63-76.

Watzlawick P., Helmick-Beavin, J. & Jackson, D. D. (1972). Une logique de la communication, Paris, éditions du Seuil, Paris.