Cette communication traitera d'une expérience locale d'enseignement simultané de deux variétés de l'arabe à des apprenants adultes débutants, qui se ré-engagent dans un processus académique après plusieurs années d'expérience professionnelle. Nous ferons en préambule un bref état des lieux terminologique de la « polyglossie » (Dichy 2018) de l'arabe, que l'on peut définir comme la coexistence en synchronie de plusieurs variétés ou glosses de cette langue, dont les usages -et non pas les usagers- sont en « distribution complémentaire » (Larcher 2003), ce qui revient ici à décrire la compétence de communication d'un locuteur arabe scolarisé (Dichy 1994). Nous aborderons donc les modalités des enseignements séparés de l'arabe appelé « classique-littéraire-littéral » (dit ACL, variété/glosse représentant l'objet principal de l'enseignement public français de l'arabe, pour des raisons qui seront développées dans cette communication) et d'un des arabes communément appelés « dialectaux » (AD) dans notre pratique pédagogique actuelle et passée. Tentant de prendre des distances avec cette « dichotomisation » (Larcher 2003) qui ne reflète en rien les usages des arabophones, nous exposerons les premiers résultats -décrits par compétences linguistiques de base- d'un « enseignement semi-intégré » de ces deux « glosses » (Dichy 2017) au sein de nos cours délivrés à un groupe d'adultes grands débutants depuis décembre 2019. Pour ce faire, nous nous inspirerons de l'approche intégrée (Integrated Approach, Younes 2015), dont le principe de répartition glossique de l'enseignement par compétences est également préconisé par le CECRL. Tandis que Younes intègre l'enseignement des deux glosses (ACL et AD de Damas) dans un même cours, nous avons choisi, pour des raisons que nous exposerons dans notre communication, d'en attribuer chacune à un cours distinct, programmé en alternance.
Notre public n'est pas représentatif des apprenants arabisants de l'enseignement secondaire et supérieur français, car il est majoritairement « francophone », c'est-à-dire n'ayant pas d'acquis antérieurs dans un AD, contrairement à la grande majorité des apprenants de l'arabe dans l'enseignement secondaire (Pinon, 2013). Cette expérience -quoique locale et récente- est néanmoins transposable, l'approche par compétences l'étant également, et les deux types de public souffrant globalement d'insécurité linguistique. Cette dernière se manifeste chez le public décrit par Pinon (2013) par une incapacité cognitive et psychologique à envisager sereinement l'apprentissage de l'ACL, vu comme « sacré » et difficile. En effet, cette glosse représente la « variété haute » (“high variety” Ferguson, 1959) du continuum de la compétence de communication synchronique d'un locuteur arabe scolarisé dans la définition traditionnelle -et lacunaire selon nous- d'une situation de diglossie, laquelle a été théorisée pour l'arabe par Marçais (1930) (Larcher 2003). Dans notre groupe d'apprenants, l'insécurité linguistique est due à un profil non scolaire et à un sentiment personnel d'illégitimité dû à l'absence d'une origine arabe, ce qui n'a néanmoins pas empêché la plupart d'entre eux d'intégrer les variations de l'arabe, même à un niveau de grand débutant. Nous tenterons ici de dégager rétrospectivement les raisons de la tolérance de ce groupe d'apprenants à la variation linguistique, cette dernière n'ayant nullement vocation à être une tendance.
MOTS CLÉS
langue arabe, polyglossie, arabe classique/littéral/littéraire, arabe dialectal de Damas, enseignement semi-intégré, apprenants adultes débutants « francophones », compétences linguistiques de base, insécurité linguistique.
ABSTRACT
This paper aims at dealing with a local experience of simultaneous teaching of two Arabic language varieties to adult beginner students who study again after a few years of work experience. First of all, we aim at reviewing the terminology of what Dichy (2018) calls “Arabic polyglossia” in French (multiglossia), which is the synchronic coexistence of several varieties (“glosses”) of this language, the uses of which -and not the users- are set in complementary distribution (Larcher 2003). It here means describing the full communication skill of an Arabic educated speaker (Dichy 1994). We will deal here with the terms of separated teaching of what we call “Classical/Written/Literary Arabic” (CWLA, which is the primary aim of the French teaching of Arabic, for reasons that will be dealt with in our paper), and of what we call “Colloquial Arabic” (CA), in our past and present pedagogical practise. As we do not want any more to adopt what Larcher (2003) calls “dichotomisation” of Arabic teaching, which does not represent Arabic speakers' uses, we will describe in this paper, linking them with the four basic linguistic skills, the first results of a “semi-integrated teaching” of these two varieties within a course for a group of adult and beginner students since December 2019. For this purpose, we aim at drawing on Younes's Integrated Approach (2015) which links CEFRL (Common European Framework of Reference for Languages) principles to glossic distribution of skill-focused teaching. While Younes integrates the teaching of the two varieties in one course, we chose, for reasons that will be dealt with in our paper, to teach each variety in a different and alternating course.
Our students do not represent French high school and higher education learners of Arabic, because most of them are native French speakers and have not spoken any colloquial variety of Arabic before learning CWLA at school, unlike most Arabist learners in French high schools (Pinon 2013). We have started our experiment for a short time and at a local level, but we think that it may be transposable, thanks to the skill-focused approach which is also transposable, and due to a common feeling of linguistic insecurity. In French high schools learners, this feeling appears through a cognitive and psychological inability to learn CWLA which is seen as holy and as being difficult. In fact, this variety represents the “high variety” (Ferguson 1959) in the continuum of the synchronic communication skill of a native educated speaker of Arabic, in the traditional definition of a situation of diglossia, which Marçais (1930) has theorised for Arabic language (Larcher 2003), and which we find incomplete. In our group, linguistic insecurity is due to a non-academic pattern and an individual feeling of illegitimacy as a non-native learner. Despite these feelings and their beginner level, the learners have managed to integrate Arabic variations. With the benefit of hindsight, we will try here to identify the reasons of this group's agreement with linguistic variation, given that it resulted from experience, and not from a trend.
KEYWORDS
Arabic language, polyglossia, Classical/Written/Literary Arabic, Damascus Colloquial Arabic, semi-integrated teaching, adult and beginner student French speakers, basic linguistic skills, linguistic insecurity
REFERENCES
Dichy, J. (2017). Polyglossie de l'arabe et subsidiarité : au-delà des confusions entraînées par la notion de ‘diglossie'. In H. Medhat-Lecocq (Ed.), Arabe standard et variations régionales. Quelle(s) politique(s) linguistique(s) ? Quelle(s) didactique(s) ? (pp. 1-23), coll. PLID (Pluralité des Langues et des Identités en Didactique, dir. Geneviève Zarate, INALCO). Édition des Archives Contemporaines.
Larcher, P. (2003). Diglossie arabisante et fushâ vs 'âmmiyya arabes : essai d'histoire parallèle. Selected Papers from the Eight International Conference on the History of the Language Sciences (ICHoLS VIII). Fontenay-St. Cloud, France, 14-19 September 1999, coll. SIHoLS, Benjamins, vol. 99, 47-61.
Marçais, W. (1930). La diglossie arabe. L'Enseignement public-Revue pédagogique, 104(12), 401-409.
Younes, M. (2015). The integrated approach to Arabic Instruction. London: Routledge.